Réunion du Comité Afrique de l'Internationale Socialiste à Praia, au Cabo Verde

15-16 Novembre 2019

Le Comité Afrique de l’IS s’est réuni les 15 et 16 novembre 2019 à Praia, au Cabo Verde, accueilli par le parti membre de l’IS, le Parti Africain de l’Indépendance du Cabo Verde (PAICV).

L’ouverture de la réunion a eu lieu à l’Assemblée nationale du Cabo Verde. Le secrétaire général de l’IS, Luis Ayala, a commencé par un hommage à Ousmane Tanor Dieng, ancien leader du Parti socialiste du Sénégal, vice-président de l’IS et un ancien président du Comité Afrique, qui s’est éteint le 15 juillet 2019. M. Tanor Dieng était une figure très respectée et appréciée par la communauté mondiale des sociaux-démocrates, profondément engagé dans les travaux de l’IS et la quête d’un meilleur avenir pour son pays. Une minute de silence a été observée en sa mémoire.

Dans son discours liminaire, Janira Hopffer Almada, leader du PAICV et vice-présidente de l’IS, a souhaité la bienvenue à tous les délégués au Cabo Verde et s’est dite satisfaite et honorée d’accueillir l’événement dans son pays. Elle estime que la démocratie vit une période difficile et a besoin d’attention, d’autant plus qu’il s’agit d’un moment décisif pour la démocratie africaine. Bien que le processus de décolonisation ait vu la victoire des mouvements de libération, la fin de ce processus devait être la consolidation de la démocratie, avec la participation et la coopération au niveau politique. Elle a également abordé l’enjeu fondamental des changements climatiques. Ces derniers menacent l’avenir de tous, mais revêtent une importance particulière pour les petits États insulaires, qui en font une priorité absolue.

Dans ses remarques introductives, Luis Ayala a fait part de sa fierté en la présence de Pedro Pires et José Maria Neves, deux figures emblématiques de l’histoire politique du Cabo Verde, dont les travaux ont poursuivi sous la houlette de Janira Hopffer Almada. Il est revenu sur l’histoire de l’IS qui, au lendemain de sa formation en 1951 en tant qu’organisation à prédominance européenne, a trouvé une nouvelle énergie et a élargi sa base de membres dans les décennies qui ont suivi, alors que se livrait une lutte contre le colonialisme en Afrique, se positionnant en soutien aux mouvements nationaux de libération et à la bataille contre les dictatures et régimes autoritaires ailleurs dans le monde, se transformant en une véritable organisation mondiale. Les grandes batailles se livrent désormais contre le nationalisme et le populisme, ainsi que le néolibéralisme qui permet aux super-riches de prospérer alors que les conditions de vie des plus pauvres empirent. Les membres de l’IS sont des internationalistes, aspirant à une démocratie, une égalité et des opportunités mondialisées.

Parmi les délégués présents se trouvaient l’ensemble des vice-présidents de l’IS d’Afrique, enrichissant les débats de leur grande expertise et expérience dans leurs diverses contributions. En sus de la leader du parti hôte, Julião Mateus Paulo (Angola, MPLA), Chantal Kambiwa (Cameroun, SDF), Johnson Asiedu Nketiah (Ghana, NDC), Bokary Treta (Mali, RPM), Ahmed Ould Daddah (Mauritanie, RFD) et Pendukeni Iivula-Ithana (Namibie, SWAPO) étaient présents à la réunion.

Nombre des contributions faites par les délégués se sont révélées des plus pertinentes au regard du thème principal relatif au renforcement de la démocratie et des institutions démocratiques en Afrique. Les rapports soumis par les pays de la région ont permis de dégager une image contrastée, rendant compte à la fois des réussites et des écueils de la démocratie et de ses institutions ces derniers temps. Le pays hôte, le Cabo Verde, a été érigé en exemple de ce qui pourrait être atteint en matière de développement dans un pays africain où prévaut un système multipartite offrant des conditions de passation de pouvoir stables, désigné également comme l’une des figures de proue dans la région dans le domaine de l’enseignement supérieur et des infrastructures. Autre pays de forte tradition démocratique, le Sénégal se fait fort de passations de pouvoir pacifiques. Depuis l’arrivée du nouveau chef de l’État en 2012, les priorités socialistes telles que le développement des infrastructures ont commencé à être appliquées.

D’importantes modifications ont caractérisé la situation en Angola au cours des deux dernières années, depuis l’élection du nouveau président à une écrasante majorité. Le prix du pétrole a durement frappé le pays, et le nouveau président s’est concentré sur la recherche de nouveaux investissements, la diversification de l’économie et la lutte contre la corruption, le népotisme et les relations entretenues au détriment du pays. À São Tomé-et-Príncipe, après de nombreuses années passées dans l’opposition, le MLSTP est revenu au pouvoir au sein d’une coalition à la suite des élections de 2018. L’un des principaux enjeux pour le pays est la lutte contre l’instabilité et la consolidation de la démocratie en faveur du développement. Le nouveau gouvernement a pris d’importantes mesures en lançant les travaux pour de nouvelles infrastructures de transport en 2020. Le Comité a également appris qu’à la suite d’une longue lutte, la République démocratique du Congo a réussi à trouver la démocratie, bien que la constitution avait besoin de profonds changements pour assurer à la population tous ses droits. Le PALU, parti membre de l’IS, a fait savoir son désir de bénéficier de l’expérience d’autres partis africains pour construire son organisation et véhiculer son idéologie à toute la population.

En Namibie, le parti membre de l’IS SWAPO est, pour la première fois depuis la libération, en proie à une formidable opposition. La hausse rapide du chômage et les irrégularités apparentes ont permis à un candidat indépendant de s’arroger un fort soutien de l’électorat, alors que le gouvernement pâtit de l’impression donnée de ne pas avoir tenu ses promesses faites à la population. Dans un rapport concernant la situation au Ghana, où les progrès démocratiques ont fait machine arrière, le Comité a été interpellé sur le fait que la démocratie ne doit pas être considérée comme acquise. Le gouvernement sortant, qui a pris le contrôle de la commission électorale, y a recruté des milices avant de les intégrer dans les forces de sécurité nationale en amont des élections de 2020. Le Comité a également été averti de graves menaces pesant sur la démocratie au Cameroun, où la crise dans les régions anglophones du pays a mené au risque d’éclatement d’une guerre. L’intégrité des élections a été érodée par l’absence d’administrations dans ces régions, soulevant des problèmes pour toutes les personnes qui y sont nées, et faisant de ces élections une source potentielle de nouveaux conflits dans le pays.

La démocratie de façade a été présentée comme un problème majeur au Tchad où le président est au pouvoir depuis plus de 30 ans, faisant usage de l’armée pour maintenir son pouvoir, refusant tout dialogue et gouvernant par décret alors même que l’Assemblée nationale est en session. Dans de telles conditions adverses, le parti membre de l’IS UNDR s’apprête à contester le scrutin législatif de 2020. Une dynamique similaire existe à Djibouti, où depuis l’indépendance, l’opposition n’a jamais pu accéder au pouvoir. Le parti membre de l’IS MRD a rappelé que le pays est toujours l’un des plus pauvres au monde, bien que les récents événements survenus dans la région, à savoir l’accord de paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée et les espoirs de voir des avancées démocratiques s’y réaliser, pourraient avoir une influence positive sur Djibouti. Le parti FFS en Algérie a décrit la lutte pour l’État de droit, la démocratie et l’égalité femmes-hommes malgré les restrictions, le contrôle des élections et la corruption imposés par le régime. L’opposition manque d’accès aux médias, ce qui ne l’a pas empêchée de dire toute la fierté que lui inspire la révolution populaire à l’œuvre en Algérie, et de lancer un appel à l’IS à soutenir les mouvements populaires dans le monde entier.

Un certain nombre de participants ont insisté sur la nécessité, pour les membres, de rester sur leur garde et de tirer la sonnette d’alarme lorsqu’un parti au pouvoir ne respecte pas les valeurs démocratiques et les attentes de l’organisation, y compris dans des situations délicates impliquant des partis frères ou des amis. Dans ce contexte, la situation en Guinée a fait l’objet d’une vive inquiétude au sein du Comité au vu de la tentative du Président de modifier la Constitution pour s’assurer un nouveau mandat, provoquant une vague de protestations violentes dans les rues du pays.

Au Niger, où le Président sortant Mahamadou Issoufou, du parti membre de l’IS PNDS, s’est engagé à ne pas briguer de troisième mandant, respectant ainsi la Constitution et renforçant par là même la démocratie africaine. Son mandat a par ailleurs largement été perçu comme un exemple de bonne gouvernance.

Plusieurs pays africains au sein desquels l’IS compte des partis membres demeurent affectés par les conflits, un thème abordé en profondeur sous le thème « Résoudre les conflits et garantir la paix pour assurer le progrès et le développement au profit des populations en Afrique ». Tant que des conflits feront rage, les efforts se concentreront exclusivement sur l’atteinte de la paix, ce qui compromet le progrès et le développement dans d’autres domaines. Un pays qui en a lourdement souffert est le Soudan, représenté pour la première fois à une réunion de l’IS par le SLM. Il a été porté à la connaissance du Comité que la fin du régime militaire n’a pas résolu les problèmes du pays. Des forces armées indépendantes continuent d’opérer et de déstabiliser le pays, faisant toujours de la paix une priorité pour lutter contre ces difficultés héritées de l’ancien régime.

La région du Sahel demeure en proie à de fortes menaces à la paix et à la sécurité de la part des forces terroristes, comme l’ont énoncé les délégués du Mali, du Niger, de Mauritanie et du Sénégal, entre autres. Les contributions portant sur cette grave menace à la paix régionale ont appelé à une plus grande solidarité de la communauté internationale pour affronter le déficit de développement et le manque de perspectives qui sont la cause de, et exacerbent, l’insécurité dans la région. Le Sahel est essentiel à la sécurité en Afrique et dans le monde entier, et une telle crise multidimensionnelle exige des solutions communes. Une partie du territoire s’est mû en un no man’s land favorable aux trafiquants de drogue.

Pour un pays tel que la Mauritanie, le parti de l’opposition RFD est en butte à des difficultés pour insuffler le changement par un processus d’évolution, et non de révolution, et estime qu’un esprit de coopération entre les pays du Sahel renforcerait les liens humains et culturels forts qui unissent la région. Ce partenariat pourrait transformer les perspectives relatives à la situation sécuritaire actuelle et constituer un exemple de poids dans le continent.  Les représentants du Mali ont également souligné l’importance de la coopération régionale et du travail abattu pour stabiliser le pays, plongé dans une crise complexe depuis la rébellion de 2012 d’un groupe revendiquant la séparation d’une partie du territoire malien. La seule réponse à apporter est celle de la pleine réalisation du projet démocratique, grâce auquel la population malienne multiséculaire pourra continuer à vivre sans exclusion ni stigmatisation.

L’absence de paix et de sécurité dans de nombreuses régions du continent est l’une des forces motrices des flux migratoires qui balaient l’Afrique et la Méditerranée. Ce phénomène a eu des incidences sur de nombreux pays, notamment le Maroc qui, en proie à des difficultés internes telles que le chômage des jeunes et l’accès aux soins de santé, ne peut pas, en plus, assumer le rôle de gendarme de l’Europe. L’USFP a appelé au traitement de la question du Sahara occidental sous les auspices des Nations Unies, avec la participation du Maroc, de l’Algérie, de la Mauritanie et du Front Polisario.

Le Comité a reçu un rapport sur la récente réunion régionale de l'IS des Femmes tenue à Niamey, avec la participation du secrétaire général de l'IS. Cette rencontre a été l’occasion pour l’ISF d’analyser la question de la parité en Afrique, en lien avec l’agenda 2063 de l'Union Africaine « l’Afrique que nous voulons », notamment dans la participation politique, dans la gestion des conflits et des processus de paix et sécurité ainsi que dans la gestion du foncier, et de souligner que l'autonomie de la femme était une condition préalable au développement durable.

Les représentants présents à la réunion ont fait état à la fois de défis communs et de situations nationales uniques. En dépit des circonstances diverses et variées, un sentiment commun d’optimisme s’est fait sentir au sujet du futur potentiel à déployer en Afrique grâce à une bonne gouvernance assortie des valeurs sociales-démocrates. Avec un leadership approprié, de solides fondements démocratiques, la coopération au sein et entre les nations, l’Afrique sera bien placée pour tirer parti de ses ressources naturelles de manière durable afin de garantir la prospérité de nombreuses générations à venir. Les partis membres de l’IS ont été les pierres angulaires des luttes de libération et de l’instauration de la démocratie dans toute l’Afrique, et l’IS continuera à jouer un rôle fondamental en facilitant le dialogue et en s’assurant que l’ensemble de ses partis membres peuvent bénéficier de la force et de l’expérience collective de l’organisation.

Au-delà de son programme de travail et des discussions sur l’état de la social-démocratie en Afrique, le Comité avait pour tâche d’élire la nouvelle présidence, conformément aux décisions des deux dernières réunions du Conseil de l’IS tenues à Genève et à Saint-Domingue. À la suite de consultations auprès de tous les vice-présidents de l’IS de la région, il a été décidé par consensus que Bokary Treta (Mali, RPM), vice-président de l’IS, assumera la présidence du Comité pour la fin de cette période intercongrès, conformément aux Statuts de l’IS. Suite à l’acceptation par acclamation de sa candidature par le Comité, il a remercié les personnes présentes de lui avoir fait confiance, ajoutant que le Comité pouvait compter sur son dévouement.

 

 

Participants, couverture de presse